François Lenormand

« Se sentir lié à la nature ça a des conséquences sur la manière dont on se considère être au monde. Quand on fait le constat des dysfonctionnements environnementaux, on voit bien que l’on est dans l’incapacité de les résoudre, parce que les gens ne se sentent pas connectés aux mondes vivants, dont la nature est la partie émergée. Se sentir lié à la nature a des conséquences sur la conscience environnementale et écocitoyenne »

Nous avons rencontré François dans son jardin à 15km du Havre, qu’il décrit comme « un oasis où nous concilions les activités humaines et un maximum de diversité pour que mon jardin soit accueillant pour la faune et la flore ». Après avoir été maître d’école pendant 10 ans en milieu rural, Il a rejoint une structure d’éducation à l’environnement, parallèlement à un engagement bénévole de très longue date auprès des Clubs « Connaître et Protéger la Nature », dont il a été Président et aujourd’hui Vice-Président. Un peu avant les années 2020, la participation au projet du film « Le grand secret du lien » lui a ouvert les yeux sur le concept de connexion à la nature, que l’on retrouve dans la nation d’approche sensible, défendue par la Fédération des Clubs Connaître et protéger la nature.

Par rapport à la moyenne des français est-ce que tu dirais que tu passes plus ou moins de temps en nature ?

Je ne connais pas la moyenne des français mais oui certainement plus, même s’ il faudrait faire la part entre mon intention et mon activité réelle.

Mon activité CPN m’amène à être dehors tous les mercredis après-midi, et sur le temps des loisirs je jardinais beaucoup… mais ce n’est pas exactement pareil que la nature.

Est-ce que tu aurais envie de nous partager un moment de nature ?

Si il faut que je choisisse, je me revois à 12 ans, dans le massif central en train de courir après les papillons en me disant, que, quand je serai grand, je serai collectionneur de papillons.


Et si j’ai droit à un deuxième : je serai dans la réserve de la Sittelle, mon club CPN, où nous avons des espaces qui ne sont pas aménagés, qui permettent à la nature sauvage de se développer tout en accueillant du public. Et là, dans un petit coin secret, j’ai mon sit spot, un rondin de boulot, c’est là où sont les meilleures ondes de la réserve.


Si tout le monde vivait des expériences de nature, qu’est-ce que ça changerait ?

Ça changerait beaucoup de choses. Pour ça je peux faire référence à ma voisine, et à son jardin : sa pelouse taillée ras, les bâches sur ses talus, la haie taillée au cordeau. Derrière ce phénomène de déconnexion, il y a cette ignorance de la nature, pas seulement au sens de la connaissance mais aussi au sens de « ne pas voir ». Ma voisine est étrangère à la nature. Ça a des conséquences directes sur la manière dont elle gère son jardin. Si on lui demande, elle dira qu’elle aime la nature sûrement, mais elle n’est pas en connexion. Ça a des répercussions directes sur son comportement. Donc relier les gens à la nature a un premier effet direct sur des comportements favorables à la biodiversité.

Je suis sûrement biophile, et la biophilie est une maladie contagieuse qu’il serait bon de répandre.

Car se sentir lié à la nature a des conséquences sur la manière dont on se considère être au monde. Quand on fait le constat des dysfonctionnements environnementaux, on voit bien que l’on est dans l’incapacité de les résoudre, parce que les gens ne se sentent pas connectés aux mondes vivants, dont la nature est la partie émergée. Se sentir lié à la nature a des conséquences sur la conscience environnementale et éco citoyenne.

Quelles sont les conditions pour que les expériences de nature induisent ces changements de comportement… est-ce que par exemple si je vais me promener tous les jours dans la forêt en allant le plus vite possible sans regarder à droite et à gauche, est-ce que ça induira un changement de comportement ?


On oublie parfois de tenir compte des gens, on énonce des règles, mais tous les gens ne sont pas tous identiques. Il faudrait étudier comment les gens, acceptent, réagissent, acquièrent et se transforment. Les processus ne sont pas les mêmes en fonction des catégories de personnes, d’âges, les lieux de vie, ça amène un niveau de complexification important. Toutefois il y a quand même des règles qui fonctionnent et je suis étonné qu’on pose encore la question parce que les réponses on les connaît !

Dans mon logiciel d’éducateur à la nature, il y en a quelques-uns. Dans le désordre, il faut forcément passer le plus longtemps possible dans la nature, un accès facile à la nature, (pas toujours évident), une dose minimum de nature. Ce n’est pas pareil d’y aller souvent et longtemps, la question de la récurrence est importante.

Une condition efficace est d’être accompagné par un passeur de nature : un mentor, un accompagnateur nature, un professeur, un parent bienveillant, une nounou qui se sent concernée…

Une condition que j’applique est de mettre le paquet sur l’enfance : quand le petit homme est en cours de fabrication qu’il est le plus efficace possible de lui adresser une dose de nature.

Toutefois, quand on a énoncé une règle, il y a toutes les exceptions qui arrivent. J’ai rencontré des personnes à qui on avait administré une grosse dose de nature et cela n’a eu aucun effet. D’autres, on eu une révélation avec une expérience fondatrice qui les a transformés en 5 min. Certaines personnes à qui on a envoyé des messages sensibles et à qui ça fait de l’effet et d’autres à qui ça n’a fait aucun effet. D’autres à qui on a envoyé des messages intellectuels et injonctifs et ça a marché.

J’ai vu des conférences en plein air hypnotiser des groupes d’enfants.

Je me méfie des règles.

Un conseil à nous partager pour que les expériences de nature se déploient plus largement, y compris dans des espaces ou ça paraît difficile voir impossible ?


Plus j’avance et plus j’ai l’impression que la prise de conscience commence à pointer le bout de son nez qu’il est important de mettre ses enfants dehors et donc les reconnecter à la nature.

Il faut arrêter que chacun joue dans sa cour. La solution, le virage, ne pourra s’effectuer que par des décisions collectives, à savoir une organisation concertée, co-construite sur un territoire. Je vois quelques exemples de plans d’actions dont l’éducation à la nature est le cœur et qui déploie des actions, qui sont décidées par les acteurs et adaptées au territoire et qui marchent d’autant mieux qu’elles sont soutenues par une volonté politique. Je veux parler des Plans locaux d’organisation à la nature. On vit cette expérience depuis 2 ou 3 ans, et ça semble extrêmement prometteur. 

Cette organisation concertée sur un territoire permet de sortir de l’action individuelle des acteurs éducatifs, tout le monde tire dans le même sens et comme ça concerne beaucoup de monde, on met en place des systèmes robustes.

Pendant un an sur le territoire de la Communauté Urbaine du Havre, on a réunit l’ensemble des acteurs éducatifs, et séance après séance, on a dégagé une vision de l’éducation à la nature (enjeux, finalités, méthodes) et ça a aboutit à une liste de préconisation pour le territoire et c’est ça qu’on a appelé un plan local d’éducation à la nature. Comme tout le monde était autour de la table, du coup tous les publics sont concernés de la petite enfance à l’EPHAD quelles que soient les catégories socio-professionnelles, c’est un plan qui n’est sans doute pas parfait mais qui semble bien intéressant.


Quelles sont tes sources d’inspiration ?

Mon ADN est CPN, c’est à dire que je crois que foncièrement, dans la construction d’un individu il doit avancer sur 2 jambes : celle de la sensibilité, avec grande capacité attentionnelle, et celle de la connaissance. On ne peut pas avancer à cloche-pied, on risque de tomber. L’une après l’autre, ou des fois en même temps, dans ce cas là on fait un saut. Le projet des CPN dit ça : approche sensible et connaissance vont ensemble. Mais j’ai aussi été marqué par les 7 clés du RPPN, j’ai été aussi influencé par le grand secret du lien. Après dans les lectures, l’apport de Louis, est un précurseur, c’est un peu le papa, mais il y en a d’autres….


Est-ce que tu recommanderai des formations, des expériences à vivre, des rencontres à faire, qui permettraient aux personnes d’engager une réflexion.


La première formation c’est d’aller dehors, de passer le plus de temps possible. 

La meilleure des écoles c’est monter son club CPN. Les gens qui pratiquent l’école du dehors ont beaucoup appliqué mission protection, c’est du caviar pour eux. Les gens qui montent leur Forest school, ils font la formation du RPPN et ils sont aussi club CPN. Dans les écoles il y a plein d’instit’ qui s’appuient sur les cahiers techniques. En sillonnant la France on a vraiment des retours de ce type là.

Fréquenter la nature, y être familier, mettre des noms sur ce qui nous entour pour les faire exister permet de faire que le lien n’est pas que spirituel, abstrait il est concret. Depuis qu’on est là, j’ai écouté 3 oiseaux. Il y a un pigeon qui est passé, je l’ai capté. On a une attention constante et une connaissance qui permet de savoir ce qu’il y a autour de toi. C’est un miroir qui vous dit ce qu’on est et ce qu’on fait ici. Ce que j’ai toujours aimé dans mon club CPN, c’est qu’on est dehors et que cette perception de la nature, cette capacité attentionnelle, le niveau de connaissance est éducable, par contre il faut s’y mettre, il faut le décider.. Quand on est parents, il faut décider d’intégrer la nature dans les activités, les apprentissages, les loisirs. C’est exactement pareil pour les élus : l’éducation à la nature doit faire partie du logiciel.

Quels sont les angles morts pour travailler notre rapport à la nature ? 


Je vais m’appuyer sur la stratégie régionale de la biodiversité en Normandie. Il s’agit d’une série d’action en faveur de la biodiversité, mais aussi la sensibilisation à la biodiversité :

1- Il faut développer des initiatives locales territoriales et organiser l’action

2 – Former des passeurs de nature.formation

3 – Rendre la nature accessible

4 – Aider les porteurs de projets : parents, enseignants, nounous… Une manière de les aider est de les soutenir pour développer des actions et des projets. Ici on a créé un nouveau métier : conseiller en éducation à la nature.

Sur la région Normandie il y a 20 conseillers à la nature, des gens qui ont suffisamment d’expérience pour aider un porteur de projet à passer de l’intention à l’action. Des gens dont s’est devenu le métier. Aider un enseignant à monter un projet d’école, un directeur de centre de loisir à former ses animateurs, un maire à développer l’Education à la Nature dans son village, trouver les financements, apporter des ressources.

Ce sont des personnes qui ont posé candidature qui a été accepté a partir du moment où ils ont une bonne connaissance du territoire, de l’EN. Si on repère un acteur qui patauge, on le met en relation avec le conseiller qui essaie de comprendre l’acteur, ce qu’il veut faire, l’ambition de son projet. Ensuite il le met en relation avec d’autres acteurs, lui indique des sources de financement… C’est le collectif Eduquer à la Nature qui finance ces conseillers, grâce aux subventions des collectivités locales et des fondations.

Comment faire pour que l’expérience de nature devienne plus désirable, plus importante ? 

On pourrait sûrement imaginer une multitude de moyens. La première condition va être le temps, il va falloir beaucoup de temps. Il faut faire pénétrer dans toutes les sphères : politiques, techniques, éducatives. Il faut faire pénétrer cette idée que le fait de remettre les gens en expérience de nature est bon pour leur épanouissement et leur bien-être mais aussi pour la survie de l’homme. Ce sont des messages à faire passer. Des conférences, des spots à la télé, des newsletters, des tous dehors départementaux. Mais pour ça il faut des moyens, et les moyens ne viennent que par des décisions politiques. Pour que l’on comprenne que c’est une priorité il faut faire preuve de pédagogie et ce qui marche bien c’est la valeur de l’exemple. Quand on a des visites à la Sittelle les gens repartent avec l’envie de le faire chez eux, mais pour montrer il faut du temps.


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